En tant que scientifique, associez-vous un ou des objectifs spécifiques à votre activité de recherche ? Si oui lequel ou lesquels ?

Pr. Canaud: Oui effectivement, je me pose, ou plutôt nous nous posons car il s’agit d’un travail d’équipe, deux questions clés : 

1-Comment cela fonctionne-t-il ? 

2-Comment utiliser nos connaissances pour améliorer la vie des patients ? 

C’est peut-être un peu prétentieux, mais nous essayons systématiquement d’entrevoir des perspectives cliniques pour toutes les recherches que nous menons. 

 

 En quoi l’opportunité du repositionnement du Piqray vous a-t-il semblé être une évidence dans la maladie de CLOVES ?

 

 Pr. Canaud: Il faut se plonger quelques années en arrière lorsque nous avons commencé à travailler sur ce sujet. En septembre 2015, grâce à un premier patient porteur d’une mutation du gène PIK3CA, je commence à m’intéresser à cette pathologie. A cette époque-là, les mutations du gène PIK3CA venaient d’être découvertes chez les patients avec syndrome d’hypercroissance (juin 2012). Le BYL719 (c’était son nom à l’époque, devenu ensuite Alpelisib puis PIQRAY lors sa commercialisation pour le cancer du sein) était en fin de phase 1. C’est-à-dire qu’il s’agissait d’une molécule (et non d’un médicament encore) testée chez des patientes avec cancer du sein (portant une mutation PIK3CA dans les cellules cancéreuses). Cette molécule était la plus avancée en termes de développement clinique. Bloquer une protéine qui est trop active (mutation gain de fonction) avec un inhibiteur spécifique m’a paru être une évidence. Ce qui a fait la différence avec d’autres médecins/chercheurs, très certainement, c’est de ne pas m’être cantonné à l’aspect intellectuel théorique mais de m’être battu pour obtenir l’autorisation exceptionnelle de traiter ce 1er patient puis d’avoir créé ensuite le premier modèle expérimental préclinique de souris récapitulant la maladie pour valider nos découvertes puis traiter d’autres patients notamment des enfants. Cela a été un travail de longue haleine, semé d’embuches mais nous sommes extrêmement fiers d’avoir poussé cette molécule jusqu’à une autorisation de mise sur le marché US.

 

 Quelles sont les perspectives d’évolution à court et long termes d’un tel repositionnement pour les patients atteints du syndrome de CLOVES ?

 

 Pr. Canaud: Les perspectives sont d’obtenir une autorisation de mise sur le marché dans cette indication dans les autres pays. Nous avons obtenu avec succès le feu vert de l’agence américaine du médicament (FDA), des discussions sont en cours avec de multiples autres agences.

Il est important de noter que cette autorisation obtenue est dite conditionnelle c’est-à-dire qu’elle nécessite des données supplémentaires de confirmation pour être définitivement approuvée. C’est l’objet de l’essai clinique EPIK P2 qui est en cours.

Enfin, je voudrais ajouter que cette découverte nous a conduit à en faire d’autres que nous rapporterons prochainement dans des revues scientifiques puis auprès du grand public.

 

Quel fut votre sentiment lorsque vous avez reçu l’approbation de la FDA ?

 

Pr. Canaud: Un immense soulagement, une fierté indescriptible et une joie intense pour les équipes (médicale et de recherche) impliquées et bien entendu pour les patients. C’est le premier et seul médicament autorisé dans le monde pour ces pathologies.

Un soulagement car obtenir cette autorisation a demandé 4 années de travail extrêmement intense, pas toujours visible ou palpable pour le grand public. Nous avons eu une inspection de la FDA durant 15 jours début février 2022 pour vérifier l’intégralité des données. Ces 2 semaines ont été épuisantes mais lorsque l’inspecteur nous a dit que nous avions réalisé « un travail exceptionnel » nous avons compris que ces années de travail avaient été utiles. Ce travail nous aura ouvert les yeux sur une autre manière de concevoir les essais cliniques pour les maladies rares et démontré que le repositionnement de molécule sorte de chimère dont tout le monde parle, peut fonctionner merveilleusement bien.